Les circonstances matérielles ont fait du libertarianisme ma première école de pensée. Famille sans fonctionnaires, études en économie, aucune dépendance à l'État. Contrairement aux bénéficiaires net de la réserve faunique sociale-démocrate, il m'était alors possible de croire que l'économie de marché et la liberté d'expression formaient les fondements d'une société dynamique.
Le principe de non-agression, le respect de la propriété privée et la primauté de liberté d'expression étaient des évidence aussi claire que la décrépitude du modèle québécois. Pourquoi payer pour les inepties des autres? De toute manière, les signaux convergeaient vers le changement. En octobre 2005, Lucien Bouchard signait le manifeste pour un Québec lucide. En mars 2007, l'ADQ entrait à l'Assemblée nationale avec 41 sièges, devenant opposition officielle. En même temps aux US, Ron Paul levait 6 millions en une journée avec son Tea Party money bomb. L'Overtron changeait, le retour vers une société 'normale' n'était qu'une question de temps.
Mais rien de tout cela ne s'est concrétisé. L'ADQ n'était pas préparée à gouverner et son écosystème s'est fait aspirer par le trou noir caquiste. Le libertarianisme québécois s'est retrouvé amalgamé à l'extrême droite, coincé entre les conspirationnistes adeptes de médecine astrologique et les pétro-masculinistes radicaux. La COVID a brutalement révélé que les Québécois se fichaient éperdument des libertés individuelles. Aux États-Unis, le Parti libertarien végète depuis un demi-siècle dans l'insignifiance politique. Même Elon Musk, avec toute sa fortune et son influence médiatique, s'est heurté frontalement à Trump sur l'immigration et les dépenses - et a perdu.
Ici, les libertariens ont tenté de se relever de la débâcle de l'ADQ en fondant le Réseau Liberté Québec, qui s'est ultimement métamorphosé en ce PCQ actuel d'Éric Duhaime - 15% des voix, zéro siège. Sa récente défaite dans Arthabaska ajoute une couche aux frustrations habituelles de cette frange de la droite. Certains y voit la preuve d'une population brainwashé via une conspiration médiatique. Mais est-ce vraiment le cas?
L’Art de Rejeter la Faute
Les libertariens excellent à ne pas tomber dans les discours creux des groupes d'intérêts qui cachent leurs agendas besogneux dans des crédos universalistes. Les revendications salariales masquées en 'justice sociale', les quotas déguisés en 'sécurité' ou encore les subventions camouflées en 'emplois' sont évidents pour eux.
Non, le problème des libertariens est plus subtil ; ils ne voient pas que leur morale aussi est construite, juste moins structurée car ils refusent de s'organiser. Nietzsche l'avait bien saisi ; l'homme s'invente depuis toujours des religions faites de morales transcendantales pour justifier son existence. Si la liberté individuelle était une valeur suprême, pourquoi existe-t'elle surtout dans la bouche des libertariens? La réalité est que ces derniers occupent une niche sociologique bien spécifique. Les quelques études sur le sujet pointent vers des hommes dans la force de l'âge qui travaillent au privé. Ils sont éduqués, dotés d'un tempérament analytique, ouvert d'esprit, mais suspicieux des autres et n'aiment pas les règles. Cela les mets dans un contexte économique spécifiques: des payeurs nets de taxes isolés face à des groupes d’intérêts. Désorganisés et individualistes, ils développent un réflexe défensif : "laisse-moi tranquille et je te laisse tranquille". Ce principe de non-agression devient leur axiome central, renforçant l'illusion qu'il s'agit d'une loi morale naturelle.
Malheureusement, ces croyances sont mortelles dans l'arène politique. Carl Schmitt a exposé la véritable nature du politique : celui qui détient le pouvoir souverain peut décider de l'exception, c’est à dire suspendre les règles en cas de crise comme lors des confinements Covid. De plus, la politique repose sur la distinction ami-ennemi, soit identifier ses alliés pour combattre ses adversaires. Or les libertariens rejettent ces réalités brutales, préférant croire que des débats rationnels et la persuasion morale peuvent remplacer les rapports de force. Ce déni les condamne à demeurer un cercle éducatif marginal. Leurs propres dirigeants l'admettent : Murray Rothbard dénonçait déjà en 1987 ceux qui voulaient faire du parti "a social club for crazies", et quarante ans plus tard, Angela McArdle, chef du parti libertarien américain, qualifiait sa propre stratégie comme étant un "total clown show thing" anti-politique. À quoi bon jouer quand on ne veut pas vraiment gagner?
Le Cas d’École Québécois
Ces tendances se manifestent toutes chez le PCQ à différents degrés. En plus de s'être fait connaître comme radioman indigné, Éric Duhaime reste souvent fidèle à des principes abstraits plutôt que de faire concrètement de la politique et défendre les intérêts d'une base identifiable et motivée. À commencer par leur évitement soigneux de tout nationalisme, qui les empêche de protéger les Québécois face à l’autorité arbitraire du gouvernement fédéral. Ce dernier utilise le 'pouvoir de dépenser' - octroyé par la Cour suprême - pour contourner la Constitution et imposer ses priorités aux provinces, limitant toute tentative d'amélioration de l'efficacité de l'État provincial. De plus sa politique d'immigration de masse crée une pression sur le marché immobilier et de l'emploi qui frappe directement les jeunes, soit la clientèle naturelle du PCQ. Ces politiques violent la constitution, affaiblissent l'état de droit, et minent le droit à l'association volontaire. Pourquoi ne pas profiter plus agressivement de la situation et laisser cet angle au PQ?
En santé, le PCQ échoue également à lutter efficacement contre le corporatisme qui ronge le système. Ils se concentrent sur le dichotomie "privé vs public" alors que le vrai problème réside dans les 46 ordres professionnels qui restreignent artificiellement l'offre de soins. Au Québec, les infirmières praticiennes ont la formation la plus longue du pays mais la portée de pratique la plus étroite, les pharmaciens restent cantonnés dans des rôles subalternes comparés à l'Alberta et nous vivons une pénurie planifée via des quotas quinquénaux de médecins. Oui il y a du privé ailleurs sur la planète, mais ces pays n'ont généralement pas ce corporatisme crasse qui étoufferait n'importe quel “marché”. Mais l'important est que le PCQ rate l'opportunité forger des alliances stratégique en choisissant qui aider contre quel ennemi.
Finalement, Leurs promesses de baisses d'impôt révèlent cette confusion dans toute sa splendeur. La baisse de 2000$ pour ceux qui gagnent 80 000$ et plus ne bénéficie pas à une base claire. Au Québec, beaucoup de fonctionnaires atteignent ce seuil et ne voteront jamais PCQ. Cette mesure profiterait également aux employés de l'État, aux enseignants syndiqués et aux mandarins du système qui utilisent déjà leur position pour maximiser leurs avantages fiscaux, régimes de retraite et autres acquis. Pendant ce temps, les jeunes travailleurs du privé - la vraie base du PCQ - plafonnent souvent sous ce seuil. Ce qui divise vraiment la population québécoise n'est pas le niveau de salaire, mais les conditions : d'un coté la sinécure sécure et de l'autre la jungle du marché. Baisser les impôts n'est pas un objectif qui permet de rassembler un groupe cohérent - c'est encore une fois améliorer un “système” plutôt que de faire de la politique.
Conclusion
Les opposants du libéralisme économique comprennent, ne serait-ce qu'intuitivement, les implications. Contrairement aux libertariens québécois qui se voilent la face avec leur universalisme moral, leurs adversaires ont au moins la lucidité de défendre ouvertement leurs intérêts.
Des exemples internationaux démontrent pourtant qu'un libertarianisme politique efficace est possible - à condition d'abandonner l'universalisme pour une approche tribale qui identifie clairement pour qui on veut gagner. Javier Milei a remporté 55% des votes en Argentine en menant une "bataille culturelle" brutale contre "la caste" politique. L'UDC suisse a combiné nationalisme et libéralisme économique pour devenir le plus grand parti du pays. Ces succès révèlent que le vrai libertarianisme politique doit assumer sa nature partisane plutôt que de chercher l'adhésion universelle.
Je souhaite vivement qu'Éric Duhaime entre à l'Assemblée nationale, mais j'aimerais encore plus qu'il change de cap. La CAQ défend les boomers, que le PQ les fonctionnaires, le PLQ les minorités et QS les associations étudiantes. Mais le PCQ défend qui exactement?
Beaucoup d'attaques identitaires contre la droite non-identitaire suivent ce modèle.
1. La projection des opinions sur le seul axe du libertarianisme.
2. Catégorisation.
Nation en avant-plan? Ami du peuple👍
Principes en avant-plan? Ennemi libertardien👎
Il y a moyen d'être lucide par rapport à plusieurs enjeux en même temps.
* Un peuple infécond disparaît.
* Une immigration contrôlée s'intègre. Une immigration débridée déchire le tissu social.
* La servitude économique envers l'état (tous les paliers) est une contradiction l'indépendance.
* Faire des éclaboussures dans la pataugeuse du status quo profite aux leaders souverainistes.
Les points de vue sont complémentaires.