Hiérarchies Ethniques et Domination Économique
Un Regard sur les Biotopes Humains, du Québec à l'Afrique Centrale
Depuis des milliers d'années, des philosophes considèrent que l'homme se distingue de l'animal par ses capacités politiques. Aristote, par exemple, affirme que le langage permet de discuter d'idées abstraites telles que la justice et le bien, éléments essentiels à la vie en société. Van den Berghe, quant à lui, observe une autre particularité humaine inconnue du monde animal : la capacité de former des hiérarchies complexes entre les groupes eux-mêmes. A-t-on déjà vu une meute de loups en subjuguer une autre, ou encore la reine d'une fourmilière ordonner à ses sujets de réduire une autre colonie en esclavage?
L'autarcie est rare parmi les ethnies, et les échanges basés sur le troc permettent de maintenir des relations égalitaires et pacifiques. Qu'il s'agisse de groupes nomades ou sédentaires, même les tribus les plus isolées doivent tôt ou tard entrer en contact avec d'autres. Ces interactions, souvent initiées par un troc silencieux, permettent d'établir des relations positives et équilibrées. Avec le temps, ces échanges deviennent plus fréquents, ce qui formalise les relations ethniques.
Van den Berghe utilise les relations entre les Bantus et les Bambutis pour comprendre les bases des relations ethniques. Les Bantus, sédentaires et agriculteurs, vivent en cultivant des bananes et du manioc, tandis que les Bambutis, nomades et chasseurs-cueilleurs, résident dans la jungle, produisant de la viande et du miel. Ces environnements distincts permettent une spécialisation économique pour chaque groupe, créant ainsi des niches uniques. L'arrivée des Bambutis dans les villages bantus est souvent perçue comme un divertissement et conduit à des échanges de produits. Cette séparation économique et géographique maintient une paix relative entre les deux ethnies, qui autrement seraient en compétition directe.
Cet équilibre est précaire, puisque les perceptions stéréotypées et les comportements paternalistes des Bantous envers les Bambutis illustrent des dynamiques de domination et d'inégalité. Les Bantous tendent à voir les Bambutis comme primitifs et inférieurs. Leur supériorité numérique et l'adoption de l'agriculture leur ont permis d'accumuler des richesses et de construire des infrastructures sophistiquées. Ce contexte favorise des comportements paternalistes, incluant des échanges désavantageux pour les Bambutis, parfois jusqu'à inclure des femmes dans ces transactions. De plus, la destruction des jungles accroît la pression sur les Bambutis, exacerbant encore plus les inégalités entre les deux groupes. Évidemment, ce genre de tension n'est pas unique à ces deux ethnies.
Au Québec, les anglophones ont maintenu leur domination sur les francophones en utilisant le contrôle économique et en limitant leur accès à l'éducation, jusqu'à des réformes significatives. Les anglophones ont utilisé leur position dominante pour contrôler les secteurs clés, réduisant les francophones à une main-d'œuvre bon marché. Jusqu'au milieu du 20e siècle, l'accès limité à l'éducation supérieure et technique pour les francophones a causé une ségrégation ethnique implicite des institutions économiques1. Des réformes, telles que l'augmentation du financement éducatif et l'interdiction des pratiques discriminatoires à l'embauche, ont aidé les francophones à surmonter ces obstacles. De plus, la création d'Hydro-Québec a permis aux Québécois francophones d'exercer un pouvoir politique significatif, notamment envers les Américains et les peuples autochtones.
Ailleurs sur le globe, Van den Berghe considère que le néocolonialisme perpétue la domination économique des anciennes puissances coloniales. Cela a souvent pour effet de forcer les ex-colonies à se spécialiser à leur détriment. L'auteur analyse ces enjeux en observant que les rivalités économiques entre ethnies prennent souvent la forme de partenariats déséquilibrés. Dans ces relations, les ex-colonies sont incitées à se concentrer sur l'exportation de quelques ressources naturelles, ce qui nuit à leur diversification économique et peut entraîner des problèmes comme la maladie hollandaise. Les anciennes puissances coloniales peuvent maintenir leur influence par des mécanismes tels que des quotas, des contrôles des prix, et des accords monétaires comme le franc CFA. En outre, l'aide financière et humanitaire est parfois utilisée pour orienter les politiques économiques des ex-colonies en faveur des intérêts des anciennes métropoles.
Comme le démontre Van den Berghe, les dynamiques de pouvoir inter-ethniques sont omniprésentes. La domination économique, présente à la fois localement et internationalement, révèle des hiérarchies complexes fondées sur des mécanismes subtils. Ces dynamiques perpétuent les inégalités et les tensions interethniques. Et ce n'est que l'aspect économique... 2
Voir les travaux de l’économiste Vincent Geloso à ce sujet, entre autre sur l’importance de l’impact de l’éducation sur l’économie québécoise.
On peut difficilement ne pas faire le lien avec The Nine Nations of North America.